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La Pierre brute de l’Apprenti-Maçon

         Morceaux de textes choisis       

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Travail ….Etude d’un symbole

     appliqué au premier Grade du Rite Ecossais Primitif   

Thème      la Pierre brute de l’Apprenti-Maçon
Auteur …..Un Apprenti de la Grande Loge Française REP

A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers,

A contrario de mon précèdent Travail sur mes Impressions d’Initiation, pour lequel il m’aura fallu faire appel à ma mémoire et modestement à mon instinct, je suis ici dans une démarche rédactionnelle nouvelle basée sur une lecture approfondie du Rituel et de pièces annexes ; si bien que mon appréciation approche un certain classicisme littéraire et philosophique dans son tracé. Le sujet de la Pierre brute, sur lequel il m’a été demandé de m’exprimer, m’offre en réalité moins de faculté d’interprétation que pour l’expression d’un ressenti, notamment celle pour le Travail de rédaction des Impressions d’Initiation.

L’instruction du premier Grade au Signe d’Apprenti du Rite Ecossais Primitif nous révèle que le Maçon est appelé à dégrossir la Pierre brute pour la dépouiller de ses aspérités ou impuretés et à la rapprocher d’une forme en rapport avec sa destination finale dans le Temple. Son apparition dans la vie du Maçon est précoce puisque dans le cours de la Réception au Grade d’Apprenti, il découvre rapidement deux grosses Pierres disposées sur la première marche de l’Orient, où elles font face en symétrie axiale au Carré long ; l’une déposée côté Colonne du Nord, la seconde déposée côté Colonne du Sud. En effet lors de la Cérémonie de Réception dans l’Ordre, sous la conduite du Maître des Cérémonies, je suis confrontée à la seule Pierre dite brute, faisant le lien entre celle-ci et la Colonne du Septentrion où je prendrai place parmi les Apprentis, aussi je ne m’attarderai pas sur la seconde, la Pierre cubique à pointe. Il m’est demandé de réaliser mon premier Travail dans le Temple à l’aide du Marteau et du Ciseau, à savoir de buriner par trois fois cette Pierre brute.

La Pierre brute est le produit grossier de la nature que l’ouvrier doit polir et transformer. Elle est l’emblème de l’Apprenti. En outre, elle est citée parmi les bijoux immobiles avec la Planche à tracer et la Pierre cubique à pointe. Préalablement à son entrée dans le Temple pour être reçu Franc-Maçon, le candidat a ‘’transité’’ un instant, qui a pu lui sembler interminable, dans un endroit obscur, dénommé Chambre de réflexion, laquelle s’inscrit dans le cadre de la première épreuve de l’Apprenti au titre d’un Voyage au centre de la Terre. Ce passage par cette Chambre, qualifiée à ce moment même d’obscure au travers des objets symboliques de nature affligeante disposés sur une table noire, notamment des ossements humains, une coupelle emplie de terre et un verre d’eau, renvoient vers un état d’introspection mortifiante. Cet endroit aussi lugubre que paisible a toutefois le mérite de favoriser la méditation dans le silence. Quant à ladite Chambre, elle figure un retour aux sources par la Terre pour les Initiés mais aussi pour l’Apprenti qui, sortant du tumulte des sociétés profanes, commence à se découvrir et à cerner son ignorance.  Il ressent alors la puissante nécessité de travailler à améliorer tout son être. Entre cette première étape depuis sa Réception jusqu’aux Tenues suivantes, l’Apprenti réalise combien ce passage dans la Chambre de réflexion était précieux pour considérer sa (re)naissance, tel un renouveau de lui-même non seulement à déceler, mais à explorer et à approfondir.

Pour faciliter le programme de façonnage que l’Apprenti doit entreprendre, avide de découvertes et mu par une insatiable et double envie d’apprendre et de comprendre, il peut se référer, outre les Rituels et les Instructions à divers ouvrages, de Robert Ambelain, Edouard E. Plantagenet, Oswald Wirth et le dictionnaire de la Franc-Maçonnerie de Daniel Ligou, afin d’éclaircir le fonds de ses pensées et de s’exprimer selon les règles de l’Art royal.

Il lui apparaît de prime abord que la Pierre brute est à l’évidence un symbole fort, commun à la Maçonnerie opérative et à la Maçonnerie spéculative. Avant d’entrer dans le développement de son signifiant symbolique, la Pierre brute constitue la base et la matière première du travail de la pierre par les Bâtisseurs du Moyen-âge, et reprise par la Franc-Maçonnerie opérative. Cette pierre est dite, dans son état originel, ‘’Pierre brute’’, laquelle était extraite des carrières, choisie avec précision et qu’il fallait façonner pour son incorporation dans l’édifice par un travail, dont seuls les opératifs avaient une vision globale de l’œuvre achevée. Ce n’est pas par hasard si les fondateurs de la Maçonnerie spéculative ont choisi les Loges des Tailleurs de pierres pour en extraire les fondements symboliques, plutôt que de retenir d’autres voies opératives et ancestrales dans l’apprentissage de certains métiers, comme celles des charpentiers, des tisserands ou des ferronniers.

La Pierre a été depuis des temps immémoriaux le matériau utilisé par l’homme à l’acte de construire. D’abord simple élément dans la préhistoire, la pierre devint rapidement l’objet de vénération puis symbole de divinité. L’homme et la pierre sont dès lors unis depuis la nuit des temps : dolmens et menhirs en terre celtique, Pierre Noire de la Kaaba, Pierre-qui-vire à la caractéristique naturelle d’une roche mise en mouvement, les Montagnes sacrées de divers continents, Stonehenge en Angleterre, …., y compris l’Ecosse qui a son symbole avec la pierre de Scone, dite pierre du destin ou de la destinée, voire pierre du couronnement.  En tous lieux, la pierre accompagne l’homme, jusque dans les Saintes Ecritures au premier Livre des Corinthiens, où Jésus donne à Simon le nom de Pierre ‘’je te dis que tu es Pierre et que sur cette pierre, je bâtirai mon église’’. C’est toujours sur la pierre, qui porte les Tables de la Loi, que Dieu a gravé le Décalogue (les dix Paroles pour le judaïsme ou les dix Commandements pour le christianisme) remis à Moïse, lui conférant par cette matière, l’intemporalité qu’il souhaitait lui donner. Si de tels écrits ont résisté à l’usure du temps, c’est aussi longtemps que leur support le permettra. Or, la pierre est éternelle comme l’est devenue la Loi divine.  Rappelons-nous les pierres brutes, utilisées par les Maçons opératifs, qui n’étaient pas quelconques, mais bien sélectionnées parmi les matériaux en calcaire, marbre, granit, grès, schistes ou pierres volcaniques, afin de les insérer aux chantiers monumentaux. Elles étaient retenues selon leur qualité de résistance aux intempéries et aux chocs, et également non gélives ou non poreuses ou fissurées. Ainsi donc, en est-il de même de la Maçonnerie spéculative de susciter l’intérêt des Initiés disposés à travailler dans les règles de l’Art royal.

Pour les Apprentis déterminés, ayant saisi l’opportunité d’entrer en Franc-Maçonnerie, ils deviennent Pierre taillée, symbole de la pensée arrêtée, de résolutions prises, de la volonté qui vient en exécution. C’est par un acharnement à tendre vers un idéal initiatique et de morale exemplaire, que l’Apprenti entre en action pour modeler sa Pierre brute par son travail nécessitant vigilance et persévérance. S’il n’est véritablement pas de Pierre qui ne puisse être choisie, toutes ne finiront pas durablement en place dans le Temple idéal. Certaines mal travaillées, ou mal destinées, resteront Pierre brute ou quitteront la voie initiatique avant l’achèvement du Travail, sans avoir été Pierre taillée. C’est dans l’abnégation, la patience, le don de soi et la recherche d’une élévation spirituelle et morale que le Maçon pourra parfaire l’œuvre collective. Comme les ouvriers d’antan, confrontés à l’action de l’air et à celle de l’eau sur la pierre à polir, lesquelles peuvent certes la purifier en la débarrassant de certaines impuretés et rugosités, mais qui apportent aussi une lente et insidieuse érosion susceptible de provoquer une dégradation irrémédiable, si l’on n’y prend pas garde. Ainsi, l’Apprenti peut être saisi d’incertitudes bien naturelles, d’une lassitude, d’un manque d’assiduité au Travail. Ce sont des nuisances non combattues par lui-même générant un lent désintérêt qu’il ne tempèrera pas sans vigilance à son propre égard, d’autant plus difficile à pratiquer que sa formation et son instruction s’inscrivent dans la durée. Il lui sera nécessaire de faire option de persévérance pour que sa Pierre taillée prenne place dans l’œuvre commune, afin de gravir les passages à d’autres Grades en pleine sérénité.

Aussi pour le Maçon spéculatif, la Pierre est restée le socle porteur d’un symbolisme significatif qui l’accompagne, comme elle était au temps jadis le fondement du métier auprès des Apprentis-ouvriers qui s’attachaient à la convertir, par un façonnage de l’état brut à celui de pierre taillée. Les auteurs des fameuses Constitutions qualifiaient la Pierre brute de Pierre angulaire. La Pierre brute est donc le symbole de l’état initial dans lequel se trouve l’Apprenti-Maçon avec ses imperfections qu’il doit s’appliquer à corriger par son travail initiatique sur la Pierre. Il est de fait à la fois acteur et matière de son passage de ‘’l’état ordinaire’’ à un autre état, celui de sa transformation ou mutation de l’esprit essentielle à appréhender la voie initiatique, que le monde profane ne lui permettait pas d’approcher. La Pierre brute devient l’assise de son apprentissage et de son enseignement pour parvenir au Soi et se débarrasser du superflu, de l’artificiel, de l’illusoire, de tout ce qui est factice et non fondé.

A l’appui des lectures d’ouvrages de plusieurs auteurs maçonniques, il est aisé de retenir la signification symbolique appliquée à la Pierre brute, qui révèle la voie maçonnique pour forger une appréciation objective de la liberté d’expression, dans le ressenti et le vécu durant les Travaux maçonniques dans le Temple. Pour E. Plantegenet, la Pierre brute serait l’image même du travail intellectuel auquel se livre l’Apprenti : ‘’Il doit théoriquement faire table rase de tout ce qu’il a jamais appris, reprendre ses connaissances une à une et les ‘’reconstituer’’ par son propre raisonnement, sa propre logique. Il ne lui est plus permis d’adopter, sans vérification personnelle, les enseignements livresques et définitifs qu’il a reçus et qui n’ont d’autre preuve de ‘’vérité’’ que l’affirmation unilatérale de celui qui les a formulés.’’  En d’autres termes, tant que l’Apprenti-Maçon n’a pas taillé lui-même sa propre Pierre brute, il reste embué d’obscurité, de préjugés, de passions, sans intransigeance d’une vision, qui est sienne, de sa propre vie. L’Initiation est pour l’Impétrant une nouvelle naissance, un retour à son état nature en ‘’version originale’’.  Retrouvant par là-même la liberté de penser sans conditionnement du monde profane, il maniera les Outils symboliques que la Franc-Maçonnerie lui propose.  Son but est de rendre parfait, ou tendre vers une objectivité perfectible, son entendement et valoriser ses intuitions cognitives, tout en lui offrant différentes voies et portes de réflexion. L’instruction du premier Grade ne nous dit-elle pas qu’un Maçon ‘’né libre’’ est celui qui, après être mort aux préjugés du vulgaire, s’est vu renaître à la vie nouvelle que confère l’Initiation ?

Enfin, son meilleur guide reste le Rituel et les Instructions. En outre, il sait que le Second Surveillant l’orientera dans ses recherches par la consultation préconisée de certains textes de références et ouvrages. Il lui  apportera son précieux concours quand Ciseau et Marteau ne frapperont pas au bon endroit ou dans le bon angle. Il sait également que la Fraternité au sein de la Loge reste une alliée puissante. C’est à lui d’observer, dans le silence, les Travaux en Loge pour y puiser technique, méthode et savoir. C’est sans contrainte mais bien avec motivation qu’il polira patiemment, jour après jour, Tenue après Tenue, Travaux après ‘’étude du soir’’ et lectures, sa Pierre brute comme un goutte à goutte creusant le roc, comme la mer érode les rochers à chaque brisure de la vague, actions si peu visibles à l’œil nu et pourtant efficaces et réelles.

Pour conclure, nous pouvons revenir sur l’Instruction dialoguée du deuxième Grade qui précise ‘’La Pierre brute est l’image de l’Homme grossier et sauvage que l’étude approfondie de lui-même peut seule polir et rendre parfait’’.

(Travail déposé sur le site en décembre 2013)