L’utopie

Morceaux de textes choisis

morceaux2
Travail …..Morceau d’Architecture
Thème

L’utopie

Auteur

…..Elisabeth Mutel,

…..Resp:. L:. Robert Ambelain n° 14, Orient de Paris                  

A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers,

      Le rêve et le merveilleux n’auraient jamais pris forme si l’Homme n’avait pas perdu le Jardin d’Eden dont il a été chassé. Depuis l’expulsion, sans préavis, des premiers locataires du paradis à la suite de leur inobservance des accords. Etant par ailleurs dépourvus de toute sagesse empirique puisqu’ils étaient précisément les premiers, les générations suivantes eurent à se réfugier en des lieux hostiles et bien plus rudes que celui de l’Eden, où tout retour semblait compromis pour leur descendance.

         Le motif de cette éviction fut tour à tour rejeté, d’abord sur le serpent qui, lui, faisait son travail honnêtement dans l’expertise de son art de la tentation. Le mobile fut ensuite déchargé sur Eve, dont les riches talents germaient encore trop lentement par rapport à l’ascension de la curiosité. Laquelle curiosité est considérée soit comme une qualité, soit prise pour un défaut selon les appréciations, mais s’avéra in fine un accessoire pertinent de la pensée féminine. La cause quant à elle, entendue telle la sanction d’une faute, fut enfin supportée par Adam, qui se conduisait déjà en âne bâté par le ménagement qu’il avait à l’égard de la Femme, parce que présentant l’avantage d’être la seule à accompagner le désarroi de son existence.

         Face à l’ire du Créateur qui était un grand ordonnateur, notre couple eut à s’exiler dans l’espérance de l’apaisement divin et dans l’attente de jours meilleurs. Ce fut la première utopie de la société humaine !  Depuis cette sombre histoire de la pomme, que l’homme n’a toujours pas avalée, des myriades de descendants de ces premiers aïeux n’ont jamais bénéficié de la prescription de cette faute (lourde ou grave ?), pour laquelle ils ont invoqué vainement leur innocence dans ce litige et leur irresponsabilité dans cette affaire !  

Mais dans tout sinistre, il y a un ou des responsables des dégâts constatés, et ipso-facto des coupables. Quelques-uns continuent encore à récuser, aujourd’hui, ce principe et défendent avec une véhémence, devenue coutumière, leur interprétation des faits : ‘‘responsables, sans doute, et encore à démontrer, … mais NON coupables’’.

         Toutefois, la sentence divine fut appliquée à la lettre : dorénavant, l’homme et la femme auront à gagner leur pain à la sueur de leur front. Aussi, selon les circonstances et les comportements qui en découlent, les individus changent de domicile et de conditions de vie qui ne relèvent évidemment pas de leur choix. Dans l’exorcisme d’une telle infortune forcée, par la conjoncture et enclins à assouvir les passions contrariées par une destinée malheureuse ou douloureuse, les hommes se trouvent en proie à une certaine confusion, où se mêlent de multiples espoirs, sinon des utopies qui dévorent les pensées, envahissent les esprits et exaspèrent les impatiences.  Depuis ce délit immémorial, et la chute qui s’ensuivit, l’homme se débat chaque jour, par instinct de conservation, dans les mailles de l’existence. Ses préoccupations essentielles s’arrêtent à la satisfaction des besoins primaires vitaux et matériels pour lui et ses proches.  La jouissance complète reste cependant dans l’accomplissement des conditions définies par l’individu lui-même au sein d’une société. Cette dernière ne répondra pas forcément favorablement à toutes ses attentes, encore moins à ses ambitions, mais le positionnera sûrement dans un environnement hiérarchisé, duquel sortira un régime individuel et collectif, étatique et statique, élitiste et inégalitaire, spirituel et matériel, et … et…  

         Quelle que soit la place qu’il prendra, ou qui lui sera offerte au sein de la société, l’homme, pauvre ou nanti, dépourvu ou riche, idiot ou intelligent, paresseux ou courageux, aspire du fond du cœur à dépasser la réalité persistante et à revendiquer sa part légitime à la distribution du bonheur, qui lui est refusée soit par la misère, soit par l’écoeurement des mannes faciles, qui ne procurent que fadeur dans une vie insipide.

         L’utopie n’est pas l’apanage intellectuel de quelque grand penseur à l’imagination fertile. L’utopie est aussi le pain sentimental et le tuteur psychologique de celui qui se retranche dans son jardin secret. L’utopie est une nourriture morale, et peut-être même spirituelle qui permet chaque jour de s’affranchir d’un espace de délabrement rompu à la monotonie, ou à la répétition du cycle quotidien, pour accoster les rivages d’un jardin coloré aux épices douces et aux saveurs abondantes. Alain Obadia, membre de la Commission exécutive de la CGT, s’était interrogé sur l’utopie. Ainsi, celle-ci serait bien susceptible de perpétrer son entrée dans le champ politique :

« Peut-on vivre sans utopies ? Dès que l’on donne au mot utopie son sens le plus vaste et le plus noble, ma réponse est ‘‘non’’ sans hésitation. Nier le rôle de l’utopie, c’est-à-dire de l’idéal, des valeurs, c’est s’enfermer dans la gestion sans ambition de l’existant, c’est se résigner à l’injustice sociale, c’est accepter un ‘‘ordre’’ social mondial injustifiable…  Ce que certains qualifient négativement d’utopie, c’est, pour moi, la volonté de travailler à rendre le monde plus vivable en attaquant les problèmes à leur racine ; c’est considérer que le bonheur, l’épanouissement personnel et familial ne sont pas réservés à quelques privilégiés, que l’être humain aussi bien en tant que personne que comme force sociale doit être la fin et l’acteur de toute évolution. »

La mort de l’Utopie ?   Son avènement ?

         Jamais cette question n’a pu être établie pas plus que celle-ci soit posée réellement, malgré les bonheurs artificiels proposés par toutes sortes de progrès technologiques, ou par des promesses fallacieuses de lendemains qui chantent. L’Utopie est un opium inodore, arborant une palette de couleurs aux contrastes brillants par rapport au morne tableau terrestre, qui offre à l’esprit troublé, par les difficultés domestiques, la sortie d’un engourdissement abyssal et anesthésiant des contraintes fastidieuses de l’existence.  Certains redouteraient plutôt les utopies transformatrices des métaux corporels, que sont la torpeur et l’énergie anéanties, annonciatrices d’un renouveau au bienfait indéfini. Bien des utopies ont transfiguré un fatalisme sclérosant en mouvements émancipa-teurs. Les utopies veulent parfois rompre avec le passé pour promouvoir l’impossible dans l’avenir. Par leur essence, elles sont subversives et compromettent quelquefois l’ordre établi des dominants et des puissants, soucieux de conserver leurs acquis et le produit de leur production issue de leur(s) propre(s) utopie(s).

         Les prophètes, les illuminés, les libres penseurs de tout bord ne sont-ils pas des utopistes dérangeant ?  Les uns ont renversé certaines idoles et étoiles et les autres les ont remplacées par de nouvelles vedettes et icônes. D’autres encore ont élaboré des théories révolutionnaires, d’une part afin d’offrir selon leur prêche gloire et prestige ; et d’autre part les honneurs à ceux qu’ils ont paré de probité et qui sont dès lors promis à la postérité, pour produire d’illustres célébrités qui, après être devenues les maîtres de demain, seront les grands respectables d’hier.    Ainsi s’écoule l’histoire de l’Humanité, tel un long fleuve pas toujours tranquille, mais sans le fruit défendu par le Créateur, d’autant que Dieu ne serait qu’une fable pour certains autres !

         Utopia est le nom donné par le Chancelier d’Angleterre, Thomas More ou Morus, écrivain humaniste anglais de la Renaissance (1478-1535), à une île imaginaire idéale, dans laquelle règne une égalité sans partage. Il la décrit dans son ouvrage en latin ‘‘De optimo reipublicae statu, deque nova insula Utopia – 1516’’, telle une terre où a vécu un peuple heureux, grâce à des institutions sociales et politiques irréprochables.

Mais quelles sont les racines du mot Utopia ?

         Du grec, nous pouvons déjà trouver Atopia (dont la phonétique proche d’atypique suggère l’extraordinaire) : nouveau, inédit, étrange, mais aussi absurde, alors que topos, signifiant ‘‘lieu’’ et ‘‘A’’, conduit à la négativité ; les deux conjugués traduisant un lieu inexistant. Le mot latin utopia est donc forgé du grec, où topos signifie ‘‘sans lieu ou lieu qui existe nulle part’’.  Dans la pensée de Thomas More, ce vocable devait désigner un pays purement imaginaire qui n’a pas existé et qui n’existera vraisemblablement jamais. Thomas More, auteur du roman d’anticipation sociologique cité ci-avant, tentait seulement une approche littéraire vers son idéal social, qui ne pourra malheu-reusement jamais voir le jour. Sa cité idéale était dirigée par une aristocratie du Savoir, c’est-à-dire une élite intellectuelle et sage foncièrement attachée à la démocratie. Sans doute y verrions-nous aujourd’hui une contradiction entre aristocratie et démocratie ?  En revanche, il n’en est pas ainsi pour les habitants d’Utopia qui choisissaient eux-mêmes leurs dirigeants parmi les plus sages de l’élite du Savoir.  A l’abolition de la propriété, la société de cette cité préconisait la conception épicurienne du bonheur et de la vertu par une organisation équitable de l’assistance à tous, du travail, du repos et des loisirs.

         Pour saluer finement le premier protagoniste de l’Utopie, Thomas More, nous rappelons que sans être un courtisan obséquieux, il entretenait des rapports courtois avec son roi, Henry VIII.  La rupture entre les deux hommes fut d’ordre religieux, le monarque ayant rompu tout contact avec la papauté, qui lui reprochait ses frasques conjugales, mais surtout son obsession de la décollation pratiquée envers plusieurs de ses épouses successives. Pour une décapitation paisible en son royaume d’Angleterre et pour un renouvellement des épouses, sans besoin d’une bénédiction pontificale, il suffisait au roi de créer sa propre religion d’Etat, dont il se revêt lui-même de la puis-sance sacerdotale, pour remédier à la réussite de toutes ses entre-prises et contrarier les entraves, dont celle de l’excommunication.

         Si les Britanniques ont excellé dans l’art du combat contre ce genre d’hostilité, tous n’ont pas adhéré, à l’exemple de Thomas More resté fidèle à Rome. Dans sa position, l’humaniste commettait alors l’imprudence de fustiger son roi, nouveau pontife de la jeune religion anglicane, et de noircir la société anglaise. Sa lumineuse Utopia arrivait à point pour égratigner le royaume d’Henry VIII et son autorité religieuse. Le roi ayant vivement apprécié l’insolence et la rébellion de Thomas More, aussi l’invita t-il à déposer sa nuque sur le billot. L’Eglise de Rome s’empressa de canoniser le nouveau martyr, victime d’un despote apostat.

         Les citoyens d’Utopia bannissaient grandeurs, honneurs et richesses. Ils bâtissaient leur société sur la stricte égalité commu-nautaire et l’or servait seulement à la confection des vases de nuit. Leur attachement à la culture et l’effort intellectuel empêchaient de façon naturelle, hors rupture du temps nécessaire au repos et au répit, l’assoupissement des esprits anesthésiés et anéantis, ou corrompus par les velléités d’agitations idylliques. Ces Utopiens étaient donc en lutte contre les manœuvres de ces forces nuisibles qui prenaient pour cible le faible, alors promis à une déchéance civile. Déchéance assortie d’une perte de la probité et de l’honneur, ces deux nobles vertus étant entendues au singulier et non dans une forme plurielle, comme nous pourrions l’entendre dans la reconnaissance à rendre gloire et à conférer les honneurs dus selon rang et mérite.

         Le nom propre Utopia francisé par Rabelais, est devenu un nom commun qui a pris, tout d’abord, pour sens propre ‘‘système politique idéal’’ sans rapport avec la réalité ; puis au sens figuré, ce qui appartient au domaine de la magie, de l’irréalisable, avec pour synonymes : rêverie, mirage, chimère, fiction, illusion, mais aussi duperie, tromperie, falsification,… ces trois dernières équivalences étant les plus coriaces à éradiquer !

         On ne peut évoquer l’utopie sans penser à Platon et à sa fameuse Cité. Dans sa ‘‘République’’, le philosophe grec met sur plan la description et le fonctionnement étatique d’une cité radieuse. Dans ses ‘‘Lois’’, il peaufine sa conception du bonheur pour les citoyens privilégiés qui auraient fait élection de domicile dans son territoire. Cette flamboyante cité, conçue pour le bonheur intégral collectif et non individuel, se présente dans une architecture particulière dominée en son centre par une acropole, à partir de laquelle sont tracées des rues bien droites, formant les rayons d’un soleil et bordées d’habitations semblables.

Vue de son point le plus haut, la Cité s’étend telle une figure géométrique parfaite, dont les alvéoles sont mathématiquement mesurées, équarries et monochromes. Le cerveau carré de Platon ne pouvait souffrir les ruelles tortueuses, étroites et sans lumière, la crasse séculaire imprégnée sur les pierres de son Athénée contemporaine.  Dans ses ‘‘Lois’’, Platon divise la société en trois strates : les dirigeants, les gardiens de l’ordre et le peuple confiné au rôle de producteur, c’est-à-dire les artisans et les agriculteurs, toujours soupçonnés de relâchement civique, et dont il faut surveiller les pulsions imprévisibles. Le bonheur collectif de la Cité en dépend. Il s’agit bien là d’une constante des peuples indo-européens. Cette vision des fonctions tripartites a été développée par Georges Dumézil dans son ouvrage Mythe et épopée (Collection Quarto, Gallimard). La politique est une chose trop sérieuse aux yeux de Platon ; il confie donc la direction gouvernementale à des philosophes, des collègues en somme à l’intelligence patente, et seuls capables d’une bonne gestion des biens au profit des âmes. La conception du bonheur chez Platon exclut toute sorte de sentiments, de passions et d’émotions, bref tout ce que l’homme est en capacité de ressentir.

         Mais l’âme, sans ces sentiments, ces passions, ces émotions, est-elle encore une âme ?  Quand on a le bonheur livré à domicile et en ration quotidienne suffisante, toute nourriture de l’âme et de l’esprit n’est que futilité. La Cité de Platon ne reconnaît pas la cellule familiale, noyau micro-cosmique souvent géniteur de complots et de conflits, et en conséquence susceptible de déstabiliser cette usine de bonheur à l’organisation bien rodée. Tout est programmé dans les plans de Platon : la famille étant un corps homogène donc solitaire, elle sera éclatée. Dès lors, l’Etat prend en charge l’éducation et l’entretien des enfants qui seront éloignés du cercle familial. Des réfectoires accueillent tous les citoyens rentables aux agapes collectives, les individus parasites n’ayant pas droit de cité. On devine aisément la lourdeur de l’atmosphère et l’ennui institutionnalisé derrière une telle barrière glaciale. L’utopie platonicienne est poussée à l’extrême jusqu’à bannir les poètes, pourtant prodigues en utopie.

         Au Moyen-âge, l’utopie a eu son heure de gloire chemin faisant vers le monde spirituel, où elle avait donné asile à des lieux de silence réservés à ses adeptes. Dans ce cas, le dogme religieux prend le pas sur le bonheur le plus immédiat, au-delà des frontières matérielles et physiques. Ainsi le Moyen-âge avait réussi la réalisation concrète et atypique des unités utopiques. Durant cette longue période opaque et figée, abbayes, couvents et monastères se sont constitués en ilots de sérénité. Ce cadre microcosmique, imperméable à toute infiltration et à toute nuisance, a permis, à leurs privilégiés abonnés, l’exploration des sciences multiples, comprenant un crédit d’heures… dédiées à l’abnégation et à la prière, de façon à garantir les prescriptions célestes, conformes à un aperçu avant impression de l’éternité. Le religieux, libéré de toute contrainte temporelle, n’avait plus à se soucier du salut de son âme au destin tout tracé vers une citadelle utopique et le paradis de Dieu.

         Nombreux sont ceux qui ont développé la cité idéale, dans laquelle l’homme pourrait enfin vivre heureux. Ce fut précédemment le cas, en 1534, avec l’abbaye de Thélème de Rabelais, la Cité du Soleil de Tommaso Campanella, la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon, les Voyages de Cyrano de Bergerac, pour arriver jusqu’à nous, et pour assister, côté pile, cette fois à un scenario d’Aldous Huxley ‘‘Le meilleur des mondes’’.

         Sans parler véritablement de phénomène sociétal, nous devons reconnaître que l’utopie a connu plusieurs démarches de promotion. Celles-ci n’ont toutefois pas toujours été comprises par les chefs d’Etat, pas plus qu’un échantillon embryonnaire des thèmes utopiques ne figure dans les orientations et les promesses de campagne, pour la gestion d’un territoire par nos contemporains élus ; sauf à maintenir un crédit d’heures compensateurs pour des loisirs, certes il est vrai créateurs d’emplois à bas coûts pour certains et très rémunérateurs pour leurs concepteurs.

         Aujourd’hui, des têtes bien pensantes cherchent à innover et font appel à l’utopie pour des tentatives inédites de prise de conscience, qui centrent leurs actions sur la sauvegarde d’un monde meilleur, plus proche des citoyens de notre planète. Ces derniers doivent prendre leur part de responsabilité, afin que nul ne soit épargné dans la gestion des sinistres inévitables à venir. Cette utopie commune ne se limite pas à une agglomération, un territoire, ou une nation mais à la surface du globe. L’Ecologie, science interplanétaire et pragmatique, dénonce et soigne par petites touches, tant bien que mal, les méfaits d’une industrialisation polluante et destructrice de l’environnement, pendant qu’une seconde voie écologique feint de soigner Notre-Dame la Terre.  

         Dans le prolongement de l’utopie des sages de l’antiquité, offrant l’image d’une cité aseptisée, l’écologie en a repris le flambeau pour infliger à ses compatriotes, une responsabilité morale dans la transmission aux générations futures d’un monde propre, et qui ne relève d’aucun titre de propriété. Il n’est pas question de toucher au jardin entretenu au fond de notre conscience, lequel est inconnu puisque personnel, mais d’un inconscient collectif, qui crie ouver-tement à l’urgence et à la priorité d’un nettoyage des biens communs et universels, mais aussi à la sauvegarde des richesses terrestres.  La question est posée de savoir si Internet est la dernière des utopies, parce que le net, la toile, le web, sites et portails, aux multiples noms, au sens propre comme au sens figuré, sont-ils chacun le lieu sans lieu, le lieu commun ou encore le non lieu ?   Finalement, le dernier avatar utopique s’exprime probablement aujourd’hui, au travers de liens de communication et d’échanges, par internet et dérivés rangés en réseaux, dans un élan et un sursaut du rassemblement de ce qui est épars.

Mais réjouissons-nous mes Frères, de nouvelles perspectives nous sont présentées sans emphase par des puristes (Initiés ou non), qui ont pris possession d’un domaine numérique pour domicilier la cité univer-sitaire Wikipedia, véritable encyclopédie universelle accessible à ceux qui disposent de l’outil Internet. Gageons qu’ils seront entendus et qu’ils seront force de proposition d’une architecture inédite et impartiale, sauf à redouter la disparition du Livre.

         Et l’on peut s’interroger sur le sens de cet exposé, qui semble se perdre à mille lieues des vicissitudes rencontrées journellement, à propos duquel d’aucuns diront que votre serviteur donne l’impression de favoriser des débats sans fin. Ce postulat, à défaut d’être clairement justifié, réduirait la Franc-Maçonnerie à une école de bonne conduite, et limiterait son enseignement à un pragmatisme purement matériel et vulgaire. La Franc-Maçonnerie, par sa définition et son but, se situe au-delà d’une école de civisme. Elle ouvre l’esprit de l’adepte à son développement personnel. Elle vise la conformité de ses actions au dessein divin. Elle est aussi école de transmission ; ainsi formera t’elle sans doute un citoyen paisible et respectueux, évoluant et grandissant dans une société humaine socialement bien organisée et policée.

Que doit-on entendre par sa définition et son but ?

         Elle propose une osmose avec l’utopie, vocable employé ici dans sa plus rafraichissante expression, en des termes les plus radieux. Car c’est de la Franc-Maçonnerie, de l’enceinte de son Temple, de la nature de ses Travaux, que les Initiés se trouvent en capacité de produire une irradiation, par laquelle ils expriment générosité et grandeur d’un idéal manifesté avec détermination non utopique. Cette volonté pourrait bien être celle de saisir la sixième branche de l’Etoile qui ne sera plus alors leur inaccessible et insaisissable Etoile, telle que la chantait Jacques Brel. Car, l’utopie devient réalité pour le Franc-Maçon, qui adhère à un vœu chaste, dans la pureté de ses pensées et actes, celui de tisser des liens fraternels dictés par l’Ordre initiatique, qui le soutient dans son souhait d’apporter son concours à l’amélioration immatérielle et morale de la société qui l’entoure.

         S’il est vraisemblable, via la Formation initiatique prise en tant que plateforme d’accueil, que le néophyte perçoit la Franc-Maçonnerie au titre d’un message d’une définition grandiloquente et d’un objectif ambitieux et présomptueux difficile à atteindre, il doit néanmoins demeurer persévérant et confiant dans l’Ordre.  En effet, la réalisation des travaux n’est pas soumise à une condition de durée déterminée pour atteindre la perfection morale. En ce cas, la Franc-Maçonnerie n’aurait plus alors qu’à mourir et s’éteindre, sans donner le temps nécessaire aux Enfants de la Veuve de poursuivre leur engagement ; celui de mener à bien les Travaux commencés, et prendre la relève d’un chantier qui n’a pas de fin. Une telle perspective attendue, et non utopique de la réussite, se profile dans une harmonie des cœurs, où idéal commun et utopie s’épousent parfaitement, dans la construction collective d’un édifice par tous les Maçons, quels que soient leur Grade et leur qualité.

         La forme du Temple en un Carré long, expression géométrique de premier abord absurde, révèle une architecture utopique. Ce sanctuaire exclu aux Profanes se veut englober le cosmos de la Loge, qui n’est rien moins que le résumé de l’univers cosmique, cet espace sans limite que l’esprit du Maçon entend approcher pour mieux le connaître.   Prenons maintenant comme exemple une Charte territoriale, dans un espace limité à la France par plusieurs Formations initiatiques avec la trilogie – Liberté, Egalité, Fraternité –. Celle-ci naturellement étrangère en nos Loges, parce que républicaine doublée de française, est en réalité absente de la rituélie jacobite, d'essence écossaise.  Tel un refrain repris en chœur par certains Maçons, pour affirmer une foi sincère en ses trois vertus précitées, cette devise relève en fait du domaine public et profane. En outre, elle serait susceptible d’être taxée d’afficher des valeurs chimériques, faisant partie intégrante d’un patrimoine patriotique moral et non philoso-phique.   Ne pourrions-nous pas y desceller une vision utopique ?

Liberté ?

         Si le Franc-Maçon fait acte d’allégeance à l’Ordre, ses engage-ments privés, familiaux et professionnels ne sont pas incompatibles avec les Serments maçonniques qu’il est appelé à prêter. Seule sa conscience lucide lui dicte ses choix dont il est le doyen. Citoyen dans la cité, il combat tout ce qui aliène l’homme, mais sa conception de la liberté ne l’entrainera pas vers un débordement libertaire. Nourrit-il l’utopie d’un monde sans chaine et sans barbelés ?  Pragmatique, le Maçon peut refuser de reculer trop loin son fantasme de la liberté universelle, qu’il espère cependant accessible pour demain.

Egalité ?

         Il regarde tous ses Frères à hauteur des yeux. Il est en droit d’affectionner plus particulièrement certains d’entre eux avec qui il partage sa sensibilité, à l’issue de laquelle sagesse et échange lui procureront un bienfait bénéfique. Il se soumet à la réalité selon laquelle les hommes ne naissent pas égaux génétiquement et aussi socialement. Le Maçon peut se sentir impuissant devant les aléas génétiques et accepter avec pragmatisme les différences sociales, qui ressortent comme les fondements inévitables propres à toutes communautés. Une société absolument égalitaire, impossible à concevoir et si oui, serait-elle viable ?  Le régime égalitaire n’apparaît d’ailleurs nulle part dans le milieu minéral, végétal, animal, et … humain.

Fraternité ?

         Voilà une vertu fort honorée en Franc-Maçonnerie qui, bien trop fréquemment et malheureusement, ne possède qu’une valeur nomi-nale ou littérale. Ce mot sert-il seulement de décor à un catéchisme qui est particulier aux Francs-Maçons ?  La Fraternité maçonnique se lit dans la lumière et la profondeur du regard de l’autre, et s’exprime dans un élan spontané du cœur. La gestuelle des étreintes ne relèverait-elle pas maladroitement que d’un simple exercice de style, d’une politesse de bon aloi et de circonstance ?  La courtoisie comme le savoir-vivre seraient-ils seulement l’apanage des hommes de bonne éducation pour satisfaire le rapprochement d’intérêts et d’amitiés de proximité ? Mais pour le Maçon, la Fraternité sincère et véridique combat les difficultés réelles à s’installer, durablement et de façon désintéressée, dans un groupe présent sur un terrain borné et mesuré, local, régional, national, sans être forcément utopique, puisque la Fraternité tente de réunir les Frères (et pourquoi pas les peuples) d’horizons lointains, distants et séparés les uns des autres.

         Le Franc-Maçon prendra conscience par touches successives d’un rêve non pas impossible ou utopique, dans lequel il ne s’imposera pas aveuglément, persuadé que le Temple universel de la Fraternité restera pour longtemps œuvre inachevée, sinon bancale. Mais s’il est sincère, il s’inscrit dans un acharnement qui prendra force et vigueur dans le corpus maçonnique.

         Dans leurs travaux collectifs, les Francs-Maçons s’isolent dans un lieu clos et connu d’eux seuls, inaccessible au regard des profanes et dans une suave ambiance. C’est le passage du temps profane et de l’espace public, délaissés, au profit du temps nécessaire au recueil-lement et à la réflexion dans un lieu fermé, privilégié, voire sacralisé et non sacré puisque non cultuel ou religieux. Est-ce un état mental schizophrénique qui les conduit ainsi à fuir momentanément le monde, et à se cloîtrer dans une sorte d’univers autistique ? Le Franc-Maçon n’est nullement un schizophrène qui se love dans son monde du silence, afin d’échapper aux inconstances de la société. Pour puiser une certaine énergie, il s’installe seulement dans un endroit discret et médite d’abord sur sa propre utilité existentielle, afin d’exporter ensuite son utilité révélée au dehors. C’est dans un espace propice à la méditation qu’il peut définir ses devoirs et sa stratégie humaine envers tous les hommes, et ses Frères et Sœurs. L’amélioration matérielle et morale de l’Humanité nécessite une démarche dynamique, et le Franc-Maçon n’emploie que des outils actifs pour réaliser un dessein constructif. Il ne cherche point un refuge ou un jardin d’Eden dans une félicité égoïste.   Le chantier permanent du Temple universel ne résignera pas le Franc-Maçon à l’impatience, puisqu’il dispose de l’éternité. Mais pour lui-même, son esprit a déjà élaboré sur plan une cité idyllique, qu’il achèvera dans la somptuosité de la Jérusalem Céleste. Cette cité idéale prend la configuration d’une architecture gérée par un système de gouvernement, selon des plans conformes à la sensibilité du Chevalier servant le Grand Architecte de l’Univers.

        Comme l’image de Dieu, la Jérusalem Céleste est difficilement incarnée dans son esprit. L’âme du Franc-Maçon peut-elle concevoir une froide cité abritant les abeilles, les termites, les fourmis, et… sans éviter les serpents  ?  Cette cité serait-elle dirigée par un des nombreux systèmes politiques pratiqués ici-bas par les hommes  ?    La Jérusalem Céleste est une douce image vaporeuse baignée d’une lumière resplendissante et radieuse. Toute la poésie de l’âme du Franc-Maçon ne peut aller au-delà de cette vision de félicité, car il saura garder encore un fragment de son innocence et de sa candeur.

Le Franc-Maçon ne serait-il pas un utopiste  ? 

         Certes non, quand il tire sur toutes les ficelles de sa force morale qui est le socle de sa propre utopie.  Mais saura-t-il enfin qu’il ne faut jamais planter d’arbres fruitiers dans la Jérusalem Céleste, dont il ne jaillira de son terroir qu’une récolte spirituelle ?   Les Francs-Maçons ne devraient-il pas renoncer à la compassion aux diplomates de l’emphase, qui préparent aveuglément leur descente infernale en empruntant un chemin chaotique, qui leur ouvre les portes d’une galerie de vernissage, où règne une fabrication made in médiocrité  ?   Ne devraient-ils pas s’unir pour entendre la voix fraternelle, et faire usage de la voie immatérielle de la Fraternité, et aller ensemble dans un jardin de paix, alors que nous assistons aujourd'hui à l'annonce d'une expression nouvelle, dans le cercle maçonnique, Les Rencontres utopiales  ?

         Qu'il est simple et gratifiant, qu'il est enrichissant, qu'il est agréable de songer à une réconciliation du plus grand nombre…., alors qu'il est si aisé de savoir que nous sommes toujours Apprentis.

     « Voyez !  Qu’il est bon, qu’il est doux d’habiter en Frères tous ensemble ; C’est une huile excellente sur la tête qui descend sur la barbe d’Aaron, qui descend sur le col de ses tuniques. C’est une rosée d’Hermon qui descendrait sur les hauteurs de Sion ; car c’est là que Yahvé a voulu la bénédiction, la vie à jamais. Car c’est là que le Seigneur a ordonné que soient la bénédiction et la vie jusque dans l’éternité.  Amen’’.

Psaume 133(132) – La vie fraternelle – Ecce quam bonum.

J’ai dit.

(Travail déposé sur le site en avril 2014)

J’ai dit.

(Travail déposé sur le site en avril 2014)